L'histoire de l'hypnose
Des mythes jusqu'à la médecine
L'hypnose durant la préhistoire ?
L'hypnose durant l'antiquité ?
L'hypnose durant la période médiévale ?
Du « Magnétisme Animal » au XVIIIème siècle à l’hypnose du XXème siècle
Comment la psychanalyse a mis K.O. l'hypnose
L'hypnose fait sa rentrée à l'hôpital
L'homme-oiseau, grotte de Lascaux, puit aux sorciers, 17 500 ans avant notre ère
Est-ce qu'on utilisait la transe hypnotique dans la préhistoire ? (1)
Certains spécialistes, comme Jean Clottes (2), voit dans l’art rupestre de nombreuses expressions d’états de transe chamanique, autrement dit un état semblable à celui de l’hypnose. Par exemple certaines peintures réalisées aux crachis (3), notamment avec de l’oxyde de manganèse mélangé à du charbon de bois peuvent avoir des propriétés psychoactives (de type mescaline ou LSD) favorisant l’état de transe (4). L’exemple le plus connu est celui de « l’homme-oiseau » de la grotte de Lascaux, qui pourrait être interprété comme un rituel : l’homme est un chaman au masque d’oiseau vivant une transe hypnotique à l’aide d’un bison sacrifié et éventré. Michel Jouvet, spécialiste du sommeil, suppose que le personnage en érection est en train de rêver ou qu’il est en transe, car c'est durant le sommeil paradoxal, phase des rêves, que surviennent des érections involontaires comme en état hypnotique. Pendant le rêve, l'âme (figurée ici par l'oiseau, comme le Ba dans l'ancienne Egypte) quitte le corps. Il est enfin possible que le Bison blessé par la lance représente l'imagerie onirique du rêveur » (5). Ces théories chamaniques de l’art pariétal sont à mettre en lien avec des pratiques encore utilisées chez les chamans de Sibérie et d’Amérique. L’état d’hypnose dans un cadre chamanique viendrait alors jouer un rôle de soin ou diminuer les souffrances physiques et morales. Ces moyens d’inductions par la parole et le geste, lors de rituels, sont encore présents chez certains « peuples racines » (6) en Amazonie, au Canada ou en Australie. Ces rituels thérapeutiques ont une probable origine préhistorique, évidemment, en l'absence de traces écrites, nous ne pouvons rien affirmer sur ce sujet, tout cela reste des théories.
(1) Voir à ce sujet les recherches de David Lewis-Williams et Jean Clottes sur le paléochamanisme
(2) Jean Clottes est historien de l'art paléolithique, anthropologue, archéologue, préhistorien spécialisé dans les représentations picturales pariétales
(3) Technique de peinture préhistorique consistant à projeter par la bouche des taches de pigment.
(4) Patrick De Wever, Jean-Marie Rouchy, Peinture secrète et sacrée : l’ocre, EDP sciences, 2018, p. 11.
(5) Michel Jouvet, Le songe de Cro-Magnon, Science et Avenir Hors-Série Le Rêve Dec. 96
(6) Terminologie utilisée par Jean Malaurie pour parler des peuples premiers
Asclépios et Hippocrate - Relief votif en marbre début du IVème siècle avant notre ère, Musée Archéologique du Pirée
Et durant l'antiquité ?
En Egypte, 2000 ans avant notre ère, la personne humaine est représentée avec de multiple éléments internes. Dont le « Ka », qui définit l’énergie vitale et forme un double spirituel qui naît en même temps que la personne. Après la mort du corps, le Ka survit dans la tombe grâce au culte funéraire et aux livraisons d'offrandes alimentaires. C’est le Ka qui assure la liaison entre la vie et la mort. Certains prêtres utilisaient des transes afin de traduire les messages de l’au-delà. (1)
En Grèce antique, l’hypnose prenait la forme d’incubation (2). Elle était pratiquée dans les grottes d'Amphiaraos et de Trophonios, puis dans le sanctuaire d'Epidaure en Argolide, sous l'égide d'Asclépios (3), au Vème siècle avant notre ère, au niveau duquel des stèles ont été retrouvées, relatant quarante-trois histoires de guérisons de patients. D'après Patricia Garfield (4), l'incubation avait pour but principal la guérison de la stérilité. Ceci était possible par l'union sexuelle, pendant le sommeil hypnotique, entre le pèlerin et le dieu ou la déesse. Cette union sexuelle avait réellement lieu dans le cas de la prostitution sacrée. Dans cette incubation thérapeutique, les plaignants se rendaient dans un temple dédié au dieu de la médecine, grâce à l’intermédiaire des iatromantis (5), des prêtres qui visualisaient les problématiques des patients en pratiquant l’état hypnotique et en l’induisant chez leurs plaignants. Une fois sur place, les patients s'étendaient sur une peau d'animal, dans "l'Abaton" (6), pour y dormir ou y méditer, après avoir reçu les instructions des prêtres leur recommandant d'être particulièrement attentifs à l'aspect qu'aurait le visage du dieu si celui-ci leur apparaissait en rêve. Le dieu pouvait apparaître de deux façons : dans le rêve ou bien dans une vision à l’état de veille, autrement dit en hypnose (7).
Plus qu'une technique médicale, l'incubation permettrait à une personne d'expérimenter un état de conscience modifié, différent du sommeil, du rêve, ou de l'éveil ordinaire : un état que Peter Kingsley décrit comme « conscience de soi » (8) et qu'il compare à la turiya ou au samādhi du yoga indien traditionnel. Le psychiatre Carl Alfred Meier a quant à lui réalisé une étude symbolique de l'incubation de la Grèce antique et à définit que le processus se rapprochait d’une séance d’hypnose (9).
(1) Jan Assmann, Mort et au-delà dans l'Égypte ancienne, Monaco, Le Rocher, coll. « Champollion », 2003, chap. 4 (« La mort, dissociation : la personne du mort et ses composantes »), p. 142-169
(2) L'incubation est un rite pratiqué dans de nombreuses cultures anciennes ou contemporaines, traditionnelles ou non.
(3) Dans la mythologie grecque, Asclépios le dieu gréco-romain de la médecine.
(4) Patricia Garfield, Creative dreaming: plan and control your dreams to develop creativity, overcome fears, solve problems, and create a better self, Simon & Schuster, 1995. Garfield se réfère à Norman MacKenzie, dans Les Rêves, J. Tallandier, 1966.
(5) Iatromantis est un mot grec dont le sens littéral est « homme-médecine », le chaman.
(6) L’abaton « lieu où l’on ne doit pas marcher, saint, sacré, inviolable », est, une partie d’un dont l’accès était interdit au profane.
(7) Voir Pierre Cheymol dans Les Empires du rêve.
(8) Peter Kingsley, In the Dark Places of Wisdom, The Golden Sufi Center, 1999, 255 p
(9) Carl Alfred Meier, Healing Dream and Ritual: Ancient Incubation and Modern Psychotherapy, Daimon, 2003
Le labyrinthe de Chartres, XIIe siècle, pierre de Berchères
Et durant le Moyen-Âge ? (1)
Au cœur de la nef de la Cathédrale Notre-Dame de Chartres, il y a un labyrinthe qu’un unique chemin de 261,55 mètres de long parcourt. Durant la période médiévale, les pèlerins parcouraient tout ce chemin à genoux et en priant. Ce processus faisait appel aux cinq sens du pèlerin, sur les genoux, au milieu de l’encens et des prières, il devait parcourir les centaines de mètres séparant l’entrée du centre, ces éléments sont probablement présents pour induire chez le pèlerin un état de transe proche de l’extase. Comme Jean Becchio le décrit « ils atteignaient au centre du labyrinthe, un véritable état de transe mystique favorisant la contemplation ». La signification symbolique du labyrinthe renvoi à celui de Cnossos, au milieu de celui-ci était rivée une plaque de cuivre où était figuré le combat de Thésée contre le Minotaure (elle disparut lors de la Révolution). A Chartres, plusieurs éléments indiquent que l'Eglise est considérée comme le détenteur du fil d'Ariane, de la vérité. (2)
(1) Voir à ce sujet : Eugène Portalié, L'hypnotisme au moyen âge. Avicenne et Richard de Middletown, Études religieuses, philosophiques, historiques et littéraires, 1892, 27e année, tome 49, p. 481-499, p. 577-597
(2) Jean Villette, Le labyrinthe de la cathédrale de Chartres
Mesmer opérant, Dodd, 1794, gravure et encre sur papier, une clef pour la médecine et les sciences occultes (Ebenezer Sibley) bs. Bibliothèque de l’Université de Leeds
Période moderne
Le concept d’hypnose présente différentes approches et différents termes depuis qu’il a été étudié dans un cadre scientifique au XVIIIème siècle. Franz-Anton Mesmer (1734 – 1815) dans sa théorie du « magnétisme animal », l’induit en parallèle de crises convulsives qu’il appelle des « crises magnétiques », le marquis Amand Marie Jacques de Chastenet de Puységur (1751 – 1825), discipline de Mesmer, voit dans l’hypnose une sorte de « sommeil éveillé » (les neurosciences lui donneront raison), tandis que Ambroise-Auguste Liébault (1823 – 1904) la décrit comme un état de « sommeil paradoxal » ; en son temps, Ivan Pavlov (1849 – 1936) la considère comme « un intermédiaire entre veille et sommeil », à l’aube du XXème siècle, Hippolyte Bernheim (1840 – 1919) la présente comme un « état psychique particulier » tandis que
Jean-Martin Charcot (1825 – 1893) comme un « état psychopathologique singulier » (1). Au cours du XXème siècle et grâce aux travaux de Milton Erickson (1901 – 1980) l’hypnose devient un « état modifié de conscience » que l’on peut déterminer comme « un état de veille paradoxal » avec l’apport de François Roustang (1923 – 2016), voire un état « d’éveil paradoxal » selon Auriol.
(1) Charcot résumait l’hypnose à un état pathologique de l’hystérie. Bien sûr la médecine moderne lui donnera tort et on reviendra sur le principe d'hystérie.
Une leçon clinique à la Salpêtrière (hypnose), André Brouillet, 1887, 290 x 430 cm, Fond national d'art contemporain, Université Paris-Descartes
Freud s'attaque à l'hypnose
Au début de sa carrière, Sigmund Freud (1856 – 1939) s’est formé à l’hypnose auprès de Charcot et Bernheim mais n’obtient visiblement pas les résultats qu’il souhaite en hypnose légère ou profonde, il expliquera ses échecs par la notion de « contrevolonté » (1), autrement dit ce ne sont pas ses méthodes qui ne fonctionnent pas, mais ce sont ses patients qui résistent à ses traitements hypnothérapeutiques (quelle mauvaise foi ce Freud !). Mikkel Borch-Jacobsen (2) dit de cette période freudienne : « On se trompe donc complètement lorsqu’on explique son rejet de l’hypnose (3) par le fait qu’il avait trouvé une méthode thérapeutique plus efficace, plus « causale ». La vérité est que Freud n’a jamais obtenu de résultats thérapeutiques satisfaisants, ni avec l’hypnose cathartique (4), ni sans elle. » (5). Il faut voir cette mise de côté de l’hypnose au profit de la psychanalyse non pas comme une victoire thérapeutique de la psychanalyse mais plutôt comme une campagne commerciale et politique, en effet la « psycho-analyse » comme elle s’appelait n’était pas la seule psychothérapie sur le marché en Europe au XIXème et XXème siècles. Pour reprendre les mots de Mikkel Borch-Jacobsen : « En présentant la psychanalyse comme la seule thérapie véritablement causale, par opposition à l’hypnose et aux psychothérapies « suggestives » ou « persuasives », Freud lançait en somme une véritable OPA sur le marché de la psychothérapie » (6).
L’hypnose continue d’avoir une influence importante du XIXème siècle en France, notamment de 1882 à 1892, avec les polémiques entre l'École de la Salpêtrière (7) de Jean-Martin Charcot et l'École de Nancy (8) de Hippolyte Bernheim dont l’Ecole de Nancy sortira vainqueur. C’est un grand changement dans l’histoire de la psychologie, des éminents esprits du XIXème siècle viendront se former à l’hypnose à Nancy, notamment Emil Coué, Auguste Forel, Joseph Delbouef ou Sigmund Freud. Dans les années 1890, l'influence internationale de l'École de Nancy continue à s'étendre.
En 1903, Bernheim considère que l'on ne peut pas distinguer l'hypnose de la suggestibilité. Il déclare alors « la suggestion est née de l'ancien hypnotisme comme la chimie est née de l'alchimie ». Il abandonne progressivement l'hypnose formelle, soutenant que ses effets peuvent tout aussi bien être obtenus à l'état de veille par la suggestion, selon une méthode qu'il désigne du nom de « psychothérapie ». En 1907, dans Le docteur Liébeault et la doctrine de la suggestion, il propose le concept « d’idéodynamisme », selon lequel « toute idée suggérée tend à se faire acte ».
Bernheim précède donc Freud dans l'abandon de l'hypnose dans sa pratique de la psychothérapie, mais il en tire des conclusions opposées. Bernheim abandonne l'hypnose parce qu'il considère qu'il peut tout aussi bien utiliser la suggestion avec ses patients à l'état de veille, alors que Freud considère qu'en rejetant l'hypnose il se débarrasse de la suggestion. Ce qui est contredit par les recherches les plus récentes en neurosciences, montrant bien un état neurophysiologique particulier à l’hypnose et la place que les suggestions peuvent avoir. (9)
(1) La pré-notion du mécanisme de défense appelé « refoulement »
(2) Mikkel Borch-Jacobsen est philosophe et professeur de littérature comparée à l'Université de Washington (Seattle), il est spécialiste de l’histoire de l’hypnose et est un fervent critique de la méthode psychanalytique
(3) à partir de 1896
(4) L’hypnose "cathartique" est une hypnose dit "profonde"
(5) Propos recueillis par Bernard Granger, dans Psychiatrie, Sciences humaines, Neurosciences (PSN), 2015/4, Volume 13, p.43
(6) Propos recueillis par Bernard Granger, dans Psychiatrie, Sciences humaines, Neurosciences (PSN), 2015/4, Volume 13, p.43
(7) "L’Ecole de la Salpêtrière" est aussi appelée "Ecole de Paris", elle sera un haut d’exploration de l’hypnose dans le milieu médicale français à la fin du XIXème siècle.
(8) L’Ecole de Nancy aussi appelée Ecole de la Suggestion est Bernheim voyait l’hypnose comme un état de sur sensibilité aux suggestions, l’Histoire lui donnera raison.
(9) Faymonville, M. E., Fiore, G. D., & Maquet, P. (2000). Neural Mechanisms of Antinociceptive Effects of Hypnosis. 92(5), 11.
Photographie d'une séance d'hypnose pendant une opération
Le XXème & XXIème siècle : l'hypnose à l'hôpital
La médecine a intégré tôt dans son histoire les méthodes utilisant des états modifiés de conscience, par exemple avec la distraction, la méditation ou l’hypnose. A la fin du XVIIIème siècle, Mesmer, qui était un médecin viennois, place l’expérience hypnotique dans son quotidien de soignant. Il utilisera des suggestions verbales directes afin de procéder à des transformations chez ses patients, tel qu’Hippolyte Bernheim le formule « la suggestion est une idée qui se transforme en acte ». Le psychiatre Milton Erickson quant à lui amènera l’hypnose dans une dynamique pragmatique et stratégique en développant des techniques de communication relationnelles et de suggestions indirectes. Au XIXème siècle, en France, les médecins Eugène Azam et Paul Broca rendent compte devant l'Académie des sciences d'une intervention pratiquée sous anesthésie hypnotique en 1859. En 1860, le chirurgien Alfred Velpeau présente les travaux de Braid à l'Académie des sciences. En Belgique, l'hypnosédation est souvent utilisée au centre hospitalier universitaire de Liège pour l'anesthésie-réanimation lors d'interventions chirurgicales bénignes.
Il semble que de nombreux auteurs qui se sont intéressés à l’hypnose, aucuns n’a pu la définir efficacement, leurs approches variées ne semblent pas permettre un consensus. Malgré tout, de ces différentes théories, deux aspects communs ressortent avec récurrence : premièrement, l’hypnose est un état modifié de conscience qui est différent de la veille, du sommeil, etc. Il contient à la fois un aspect psychologique (une dissociation psychique) et un aspect neurophysiologique (activation corticale). Ces aspects sont typiques de l’hypnose mais l’état des connaissances actuelles permettent de dire qu’il ne lui est a priori pas spécifique comme nous pouvons le retrouver dans l’état d’hyper-absorption sur une tâche. Secondairement, la force de la relation particulière que créer l’accompagnant (le praticien) et l’accompagné (le patient). Cette alliance spécifique embrasse à la fois des éléments intra-subjectifs et de communication. Elle deviendra, à partir d’Hyppolite Bernheim, un élément central des psychothérapies modernes. La définition internationale de l’hypnose par la Society of Psychological Hypnosis (actualisée par Elkins et coll. depuis 2014) nous présente l’hypnose comme « un état de conscience incluant une focalisation de l’attention ainsi qu’une attention périphérique diminuée, caractérisé par une capacité accrue à répondre à la suggestion ».